RISE
TO THE
KINGDOM
VILLAGE OF PEACE
The kingdom of Yah
À la fin des années 1960, alors que les États-Unis étaient secoués par les luttes pour les droits civiques et l’oppression raciale, un groupe de croyants
afro-américains se préparait à quitter ce qu’il considérait comme la «terre de l’esclavage». Leur rêve : rejoindre Israël, la Terre Promise, et y vivre selon
des principes spirituels, loin de la violence et des discriminations.
Sous la conduite de Ben Carter, un sidérurgiste de Chicago devenu Ben Ammi Ben Israël (le « fils du peuple, fils d’Israël »), ce groupe de fidèles, les Black Hebrew Israelites, se considère comme les descendants des anciens Hébreux. Son histoire commence par un rêve, une vision de l’archange Gabriel dans une nuit de l’année 1967, qui les incite à quitter les États-Unis et à se reconnecter à leurs racines africaines. Après un passage au Libéria, marqué par des conditions de vie extrêmement difficiles, la communauté trouve enfin sa terre d’accueil à Dimona, un petit village du Néguev, en Israël.
Ce qui semble être un simple village du désert devient en réalité un symbole de résilience et d’autosuffisance. Le « Village de la Paix », comme ils l’appellent,
est bien plus qu’un lieu géographique. C’est un espace où chaque geste est imprégné de spiritualité, où la solidarité et la simplicité sont les principes fondateurs. La vie y est rythmée par le travail communautaire, l’agriculture durable, et un mode de vie vegan. Les membres de cette communauté suivent des règles strictes, des choix alimentaires aux vêtements, en passant par des pratiques spirituelles et de santé : un retour à la nature pour un corps sain, et un esprit pur. Dans le désert du Néguev, où l’isolement se fait sentir, les Black Hebrew Israelites ont construit un monde singulier.
Chaque journée est une célébration de la vie, une danse silencieuse entre l’homme, la terre et le ciel. Le «village de la Paix» est une utopie en construction, un projet spirituel et humain dans un territoire où la lutte pour l’existence semble aussi rude que le climat qui les entoure.
Les fruits et légumes qu’ils cultivent sur leurs terres acquises sont une métaphore vivante de leur foi : nourrir leurs corps et leurs âmes, tout en préservant l’environnement. Leurs repas végétaliens, préparés collectivement, racontent une histoire de partage, de solidarité et de résistance à un monde consumériste.
Les enfants grandissent dans un environnement où la spiritualité se mêle à l’apprentissage, où chaque matière enseignée est imprégnée de l’histoire de leurs ancêtres, des Hébreux, et de leur propre quête d’identité.
Mais ce rêve, cette réalité construite de leurs mains, est loin d’être accueillie sans difficulté. L’intégration dans la société israélienne est un combat quotidien. Refusant de se convertir au judaïsme, ils sont régulièrement confrontés à des arrestations pour des situations irrégulières, et la reconnaissance officielle de leur statut reste un défi. Pourtant, leur résilience ne faiblit pas. Ils vivent selon leur propre code, toujours plus conscients des enjeux climatiques et sociaux
qui touchent le monde. Leur vision de l’avenir est en parfaite harmonie avec les défis de notre époque : un avenir préservé du consumérisme excessif,
où l’humanité se reconnecte à la terre et aux valeurs de solidarité.
En 2015, une rencontre fortuite avec Paul Kane, producteur de musique à Tel Aviv, m’a ouvert une porte sur cette communauté méconnue. C’est grâce à lui que j’ai découvert l’histoire des Black Hebrew Israelites, notamment par la musique: leur groupe « Soul Messenger », qui, dans les années 70, utilisait le jazz et la soul comme moyen d’acceptation et de reconnaissance dans la société israélienne. Cette découverte m’a poussé à vouloir en savoir plus, à entrer
dans ce monde closet spirituel, à le comprendre, à l’explorer à travers la photographie.
Ma première tentative pour pénétrer l’intimité du village fut difficile. Des mois d’échanges infructueux, des messages sans réponses concrètes. Et puis, quelques jours avant mon départ pour Israël en décembre 2022, un contact se fait enfin. J’obtiens les formalités nécessaires et je m’apprête à rejoindre le Village de la Paix, un lieu presque invisible, où l’intimité n’a jamais été capturée par un photographe, à l’exception de quelques clichés de Wendel White, un photographe afro-américain qui a documenté la communauté lors des festivités ouvertes au public.
A quelques kilomêtres du centre urbain de la ville de Beer Sheva, j’ai découvert une humanité à part, une communauté qui refuse d’être oubliée. Les Black Hebrew Israelites, rejetés par une société qui peine à les comprendre, ont fait de cette parcelle de désert un espace de renaissance. Là où d’autres auraient vu une terre aride et hostile, ils ont bâti un monde enraciné dans la spiritualité, l’autodétermination.
Mon travail photographique est une quête : donner une voix et un visage à ceux que l’on ne regarde pas, révéler l’humanité vibrante de ceux qui vivent
en marge. En capturant leurs visages, leurs gestes quotidiens, leurs célébrations et leurs croyances, j’ai cherché à aller au-delà des apparences pour rendre audibles leurs luttes et leurs aspirations.
Chaque portrait est une tentative pour tisser un pont, entre l’Afrique et la Terre Sainte, de l’ordinaire à l’extraordinaire, une dimension humaine où le temps syncrétique se compose dans l’unicité.
Dans les années 1980, Dimona a été un lieu prospère, porteur d’utopies et marqué par une grande immigration des communautés venues du bloc de l’Est. Cette période a vu l’arrivée de nombreux réfugiés et travailleurs cherchant à bâtir une nouvelle vie dans le désert, apportant avec eux leurs aspirations et leur savoir-faire. L’enthousiasme collectif et les projets communautaires ont temporairement transformé la ville en un symbole d’espoir et de rénovation sociale. Dimona, ville aux confins de l’oubli, devient sous leur influence une métaphore du possible. Longtemps marquée par un isolement économique
et social, cette ville souffre de la vétusté de ses infrastructures et d’un taux de chômage élevé, symptômes d’une négligence prolongée de la part des autorités.
La communauté ne se contente pas de survivre. Dans ce désert. elle a créé un laboratoire humain, un espace où se mêlent des croyances syncrétiques,
un respect profond pour la nature et une solidarité inébranlable. La vie quotidienne des membres – cultiver la terre, partager un repas, éduquer leurs enfants, prier ensemble – est une affirmation de leur identité et de leur résistance face à un monde qui tend à marginaliser ceux qui ne s’y conforment pas.
Les Black Hebrew Israelites, arrivés en quête d’un lieu pour bâtir une communauté, ont transformé ce paysage désolé en une véritable oasis.
Dans un quartier qu’ils ont investi et revitalisé, ils ont su créer un écosystème unique, où le sens du collectif et la foi donnent naissance à une nouvelle vitalité. Les jardins communautaires, les activités culturelles et les initiatives économiques qu’ils ont mis en place contrastent avec la désolation environnante et incarnent une réponse concrète à l’oubli.
Ainsi, leur présence à Dimona illustre la capacité de l’humain à résister à l’adversité et à redonner un sens à des espaces abandonnés. L’exil initial qu’ils ont connu s’est métamorphosé en enracinement, et leur refus de disparaître constitue une réponse puissante à l’indifférence. En documentant leur quotidien, je cherche à révéler une vérité universelle : derrière les marges, cette communauté, en plein désert, est devenue un symbole de résilience, de solidarité et d’humanité.





















