SAMUEL SAADA















Le bleu et l'étranger
Je me souviens de ma grand-mère Haïa Elise Hagège, allongée telle une odalisque
sur sa méridienne. Elle se pavanait au milieu de couleurs vives.
Nous étions reçus, mes sœurs et moi, le temps d'un repas.
Des tapis fleurissaient la salle à manger, visages sans noms, odeurs d'un autre monde. Rien ne mesurait le temps; nous étions suspendus dans le ciel comme l'était l'étage de l'immeuble plus grand que toutes nos vies d'enfant. Nous observions la Tunisie qui, au loin, s'était effacée, laissant les morts avec leurs tombes, et les tombes
sous le soleil, où viendra la mousse effacer les pierres tombales abandonnées.
Nous ne disposions que d'un ensemble de photos anciennes.
Dépourvues de familiarité, où se mêlent l'étrange et le mystérieux. Amnésie picturale. Une histoire qui était là, sous nos yeux, certainement merveilleuse, et soudain silencieuse : Généalogie fendue où le fragile se cache dans les strates de la ville. Tragédie, déchirement, non transmission. Histoire familiale à jamais disparue:
absence d'images du souvenir chaleureux. Célébration du bleu, de ma propre histoire fantasmant les joies que je n'entendrais jamais résonner. Quête nostalgique surgissant de l'imaginaire retraçant les endroits que mes aïeux ont traversés avant le départ.
De cette triste souvenance, parfois, des lumières caressent nos souvenirs.
Elles subsistent dans nos inconscients, un portrait de famille par les lieux,
au cœur des murs de la Médina à El Hafsia, à la Goulette. Des fantômes, des traces, des façades empreints de douleur, des odeurs purifiant l'âme.
Un poids existentiel dans le bleu méditerranéen.
Méditation devant ces paysages relevant le temps, images mentales.
A la recherche d'une mer donnant naissance au passé disparu;
un voilier brisant l'horizon, bleu diffus, peintre du soi. Étranger dans la lueur
des vestiges de sa construction identitaire.
J'écris dans la lumière de ce que le temps a effacé, les contours d'une terre promise revêtue de pierres et de pigments.
Chants de l'appel à la résurrection. Ce fut l'histoire, comme pour tant d'autres.
Une traversée méditerranéenne sans retour.
