
Je me souviens de ma grand-mère Haïa Elise Hagège, allongée telle une odalisque sur sa méridienne se pavanant au milieu de couleurs vives. Nous étions reçus le temps d'un repas.
Des tapis fleurissaient la salle à manger, visages sans noms, odeurs d'un autre monde.
Rien ne mesurait le temps, nous étions suspendus comme l'étage de l'immeuble plus grand que toutes nos vies d'enfant.
Nous observions la Tunisie qui s'était effacée au loin, laissant les morts avec leurs tombes, et les tombes avec le soleil, là où viendra la mousse fleurir les pierres tombales abandonnées.
Des fantômes, des traces, des murs empreints de douleur, des odeurs purifiant l'âme ?
Je recueille un sentiment intérieur, l'élaboration d'un narratif fictif, une histoire surgissant de l'imagination, un corpus retraçant les endroits que mes aïeux ont délaissés, traversés, côtoyés avant leur départ en 1953. Fondations familiales.
De cette mémoire presque éteinte, des lumières peuvent caresser nos souvenirs. Elles subsistent dans nos inconscients, appartiennent à la nation, des états-civils, des registres poussiéreux inscrits au patrimoine.
Un pays et une identité au-delà des millénaires n'a jamais cessé d’exister.
Nous n'avions ainsi peu de choses concrètes dans nos vies se rattachant à l'identité qui est la nôtre, des juifs abandonnés, la non transmission de nos ancêtres. Au-delà des registres administratifs, nous n'avions qu'un ensemble de photos périmées.
L'étroite envie de rompre avec le silence. Les racines, la tragédie, le déchirement de l'histoire familiale à jamais disparue.
Ma présence ici, dans ces lieux, ces traces qui révèlent la mémoire sommeillant depuis 70 ans dans les strates de la ville.
Descendance des anciens, portrait de famille imaginaire.
Rencontre avec le mythe, des pulsations intimes au cœur des murs de la Médina à El Hafsia, la Goulette. Images lieux de mémoire.
Un regard sur des silhouettes dessinant des contours d'une terre promise habillée d'hommes et d'ombres colorant les chants de l'appel à la résurrection.
Ce fut l'histoire comme pour tant d'autres, une traversée méditerranéenne sans retour tant les cicatrices et les crispations étaient des chaînes à nos pieds, une impossibilité de libre transmission.
Étions-nous des âmes fuyantes, des juifs perdus dans notre enclave identitaire ou de simples hommes appartenant aux hommes ?


I remember my grandmother Haïa Elise Hagège, lying like an odalisque on her chaise longue strutting amid bright colors. We were received for a meal.
Rugs bloomed in the dining room, namesless faces, smells from another world.
Nothing measured time, we were suspended like the floor of the building bigger than all our childhood lives.
We watched Tunisia which had faded away, leaving the dead with their graves, and the graves with the sun, where the moss will come to bloom the abandoned tombstones.
Ghosts, traces, pain-stained walls, soul-cleansing smells?
I collect an inner feeling, the elaboration of a fictional narrative, a story arising from the imagination, a corpus retracing the places that my ancestors abandoned, crossed, rubbed shoulders with before their departure in 1953. Family foundations.
From this almost extinguished memory, lights can caress our memories. They subsist in our unconscious, belong to the nation, civil status, dusty registers registered as heritage.
A country and an identity beyond millennia has never ceased to exist.
We thus had few concrete things in our lives relating to the identity which is ours, of the abandoned Jews, the non-transmission of our ancestors. Beyond the administrative records, we only had a set of outdated photos.
The narrow urge to break the silence. The roots, the tragedy, the heartbreak of forever gone family history.
My presence here, in these places, these traces that reveal the memory dormant for 70 years in the strata of the city.
Descendants of the ancients, imaginary family portrait.
Encounter with the myth, intimate pulsations in the heart of the walls of the Medina in El Hafsia, la Goulette. Images places of memory.
A look at silhouettes drawing outlines of a promised land dressed in men and shadows coloring the songs of the call to the resurrection.
It was history as for so many others, a Mediterranean crossing without return as the scars and tensions were chains at our feet, an impossibility of free transmission.
Were we fleeing souls, Jews lost in our identity enclave or simple men belonging to men?




















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