À l’aube du XXe siècle, Villeneuve-Saint-Georges s’affirmait comme une ville opulente et attrayante. Bénéficiant de sa proximité avec Paris, elle incarnait un idéal d’évasion pour une bourgeoisie en quête de villégiature. Les grandes demeures et les jardins luxuriants faisaient d’elle une « ville-paradis », un espace privilégié
où l’harmonie entre l’homme et son environnement semblait atteinte.
Mais cette prospérité allait être balayée par les bouleversements de l’histoire et des choix d’aménagement urbain. La Seconde Guerre mondiale marqua un tournant pour Villeneuve-Saint-Georges. La destruction partielle de son tissu urbain, combinée à la nécessité d’accueillir une population croissante, amorça une transformation radicale. Dans les années 1950-1970, la ville adopta un urbanisme de reconstruction rapide. C’est l’époque des cités-dortoirs, des grands ensembles qui répondent aux besoins de logements mais sacrifient l’âme des quartiers historiques. Le visage de Villeneuve-Saint-Georges change : le patrimoine architectural cède la place à des bâtiments fonctionnels mais anonymes.
Ce bouleversement architectural coïncide avec une autre mutation, celle de la RN6. Cette route nationale, autrefois un axe de communication clé reliant Paris au sud de la France, devient au fil du temps un corridor de nuisance. Les poids lourds, les trains qui longent la ville, et le couloir aérien qui la survole transforment Villeneuve en un espace saturé par le bruit et la pollution. La RN6 incarne l’évolution des priorités : de la mobilité à tout prix, au détriment de la qualité de vie
des habitants.
Dans ce contexte, Villeneuve-Saint-Georges subit une lente dégradation sociale et économique. Délaissée, elle devient l’une des communes les plus pauvres de la région parisienne. La juxtaposition de la RN6, du réseau ferroviaire, et de l’activité aéroportuaire crée une enclave de désenchantement urbain. Le territoire semble déshumanisé, écrasé par les infrastructures qui devaient autrefois lui apporter richesse et prospérité.
Pourtant, au cœur de ce chaos apparent, des formes de vie subsistent. La sociologie de Villeneuve-Saint-Georges invite à réfléchir à l’appréhension des territoires marginaux par leurs habitants. Les parcelles de vie, entrelacées dans un environnement oppressant, témoignent de la capacité humaine à s’adapter. Derrière les façades des grands ensembles, des liens sociaux s’entretiennent, des histoires individuelles se racontent, et des résistances discrètes à l’uniformisation persistent.
La RN6, symbole de dynamisme autrefois, est aujourd’hui un marqueur des inégalités territoriales. Mais elle est aussi un lieu d’observation des dynamiques humaines dans un espace fragmenté. Villeneuve-Saint-Georges est devenue un microcosme des tensions urbaines : entre passé glorieux et présent difficile, entre promesses modernistes et réalités de la pauvreté.
En documentant ces transformations et en cherchant les traces de vie dans ce paysage, on peut poser une question centrale : comment redonner une dignité
et une cohérence à ces lieux marqués par l’histoire et l’abandon ? Villeneuve-Saint-Georges, avec ses cicatrices et ses luttes, est le reflet des enjeux contemporains d’aménagement du territoire.